moisson 2

Par Antoine Muller, notre correspondant

Depuis des années, l’agriculture et la politique agricole allemandes vivent sous une cloche verte. Celle-ci n’est de loin pas à identifier uniquement au parti politique qui affiche cette couleur.

Elle est surtout faite d’ONG, de groupes d’activistes, de défenseurs divers de la nature et des animaux, d’églises ou d’associations cultivant les traditions. N’oublions surtout pas les filiales implantées progressivement dans l’économie du pays, auprès d’une minorité d’agriculteurs, dans les organismes de communication surtout, ou dans la protection des consommateurs.

Elles dictent les thèmes en discussion publique et politique, et condamnent une agriculture dite industrielle, en préconisant toujours la même solution : faire demi-tour ! Un climat de haine et de guerre, difficile à supporter s’est amassé.

Pour retrouver le calme, on a vu fleurir pendant une période, une multitude de propositions de communications. Les agriculteurs communiquaient mal, une communication trop technique, trop corpo ! Il faut communiquer des émotions. Nombreux ont été ceux qui ont proposé leurs services, qu’il fallait évidemment rémunérer à leur valeur ! Les organisations agricoles ont surdéveloppé leur com. Les résultats ont été minimes, et le climat social autour de l’agriculture a continué à s’épaissir.


Puis est née l’idée d’un nouveau contrat avec la société pour arriver à pacifier la situation, proposition soutenue même par des chercheurs réputés. Cette discussion sur un nouveau contrat social a fini par donner naissance à de grandes commissions de synthèse, ou commission pour l’avenir agricole, dont les plus connues : la Commission Borchert pour le bien-être animal, et surtout la commission du futur agricole lancée par la chancelière. Le plus étonnant est que, durant toutes ces dernières années, on a à peine pris acte des sondages classiques qui donnaient eux, toujours un très haut degré d’appréciation de l’agriculture, de ses métiers, de ses hommes, et de ses produits. Les mêmes doubles attitudes qu’entre les qualités exigées des produits alimentaires, et in fine le prix que l’on était prêt à payer !

Prenons ce concentré que constitue l’œuvre de la « Zukunftskommission Landwirtschaft (ZKL) », la « commission de l’avenir » ou du futur agricole, qui a réuni un aéropage représentatif de tous ceux qui étaient supposés pouvoir apporter quelque chose pour le futur de l’agriculture et pour la pacification du climat actuel. L’approbation de son rapport de près de deux cent pages, publié depuis quelques jours, est plutôt général, mais très modéré. Les oppositions apparaissent très vite, qui se demandent ce que tous ces représentants ont signé là ! …L’Allemagne a effectivement d’autres soucis pour le moment, mais elle est aussi en campagne électorale, et à la fin d’un long parcours politique de celle qui a intronisé cette commission.

Si l’on résume les propositions de cette commission du futur, le deal proposé est le suivant : prenez congé de la maximisation des rendements, et investissez pour la protection du climat, la protection de la nature, pour le bien-être animal et pour la diversité biologique ! Travaillez en bio ! La société vous récompensera par de meilleurs prix, de meilleures protections contre la « bête », le marché mondial, et par plus d’aides. Ce sera le cas jusqu’à ce qu’un vrai marché de produits durables ait émergé, sur lequel vous obtiendrez un prix enfin juste. L’exploitation agricole aura des bases solides si elle s’en tient aux règles de la protection des paysages, de la nature et des animaux. Bref : le repli, sur la « Heimat », à choyer dans un cocon de verdures, d’animaux et d’ambiance climatique protégée ! Et adieu l’Allemagne championne libérale jusque-là… mais adieu pour l’agriculture seulement, SVP.

Comme tout résumé de genre, celui-ci est un peu brut, mais il traduit la vérité de fond de cette prestation politique ! Bien sûr, les uns ou les autres, politiques surtout, y trouveront un passage à leur convenance. Mais ces références n’illuminent pas le bloc de propositions.

On reste sans voix devant le peu d’influence accordée à l’Europe, à part la référence à Farm to Fork du Green Deal, devant le peu d’influence du marché, ou de la situation alimentaire mondiale du futur. Pas de prise en compte des innovations qui, de l’extérieur de l’agriculture, ont toujours franchi tôt ou tard tous les prétendus murs et sont venues économiser du travail. Pas de prise en compte du développement par étapes, et par générations, qui est celui des entreprises agricoles, qui ne peuvent pas muer ni changer de peau à convenance. Comme d’habitude, on ne sait rien de concret sur le financement. Les seuls couts énumérés ne font pas un financement.

En définitif, l’agriculture ne devrait plus produire que des services et des aliments pour les catégories de population à capacité financières importantes ! Ils seront de plus en plus de fonctionnaires publics, pris dans une bureaucratie que l’on jure de diminuer depuis des décennies, et qu’on ne fait qu’augmenter. Et cela devrait calmer la colère qui s’est exprimée tout au long des dernières années !
Un avis tout simple : de vieux adversaires, on voulait faire des amis… mais ce ne sera pas le traité de Westphalie. Les « ennemis » passés risquent de sortir très vite des tranchées. La politique doit trancher entre les intérêts en présence ! Dire que les aides publiques pour cette transformation dureront jusqu’à ce qu’un marché de produits durables soit vraiment en fonctionnement est un mauvais conte de fées fait aux agriculteurs. Même les frères Grimm n’auraient pas osé !
AM