Sur les deux rives de l’Atlantique la molécule de Monsanto est l’objet d’attaques judiciaires sans précédents. Mais les arcanes juridiques sont incroyablement complexes et l’issue pour les plaignants très aléatoire.
Un peu plus de 10 000 plaintes concernant ce pesticide existent aux USA, et visent surtout des versements de dommages et intérêts. Un procès phare en Californie nous est annoncé comme déterminant par certaines organisations et certains médias européens. Ce qui s’y passe est en effet important, car les USA sont avec 125 000 t les plus gros utilisateurs de glyphosates, à cause de l’importance des cultures OGM résistantes à cet herbicide, et du développement du non-labour. Mais le système juridique US est très particulier…
De manière générale des cas de ce genre sont d’abord soumis à un jury. La décision peut ensuite être soumise en appel à un tribunal fédéral. Dans le cas du plaignant Dwayne Johnson, Monsanto a été condamné à 289 Mio $ pour responsabilité dans un cas de cancer, somme réduite ensuite à 78 Mio $ selon des règles US.
En cas d’appel, il n’y plus de jury, le juge compétant peut décider quels moyens de preuve sont admissibles. En cas de recours multiples il y a réunion en un procès type, dit « Bellwether Fall », qui vaut orientation pour les autres procès.
C’est le cas du procès concernant Edwin Hardemann, qui est le premier devant un juge fédéral en Californie. Ce procès a commencé à San Francisco avec un éclat, les avocats du plaignant ne s’étant pas tenu aux règles édictées par le tribunal. Bayer avait obtenu que le procès serait mené en deux phases : une première pour savoir si le glyphosate est cancérigène, et une seconde pour savoir si Monsanto a caché le caractère dangereux du produit.
Bayer s’appuie sur 800 études déclarant les glyphosates non cancérigènes ; 7 procès sont déjà engagés dont 2 au siège de Monsanto à St Louis. On attend une décision à San Francisco dans un mois, et on verra si les autres tribunaux suivront. Il est évident que Bayer ne renoncera pas le cas échéant, à saisir la Supreme Court. Bayer avait déjà l’expérience de ce genre de procès aux USA pour un fluidifiant du sang, et plus de 20 000 plaintes. Le groupe allemand avait gagné tous les procès de référence. Bayer a mis en réserve 660 Mio € pour des frais de procédure durant les trois ans à venir, dont une grande partie pour le glyphosate. AM
Il faut rappeler une chose importante : de nombreux cabinets d’avocats US sont spécialisés dans les plaintes collectives avec demandes de dommages et intérêts. Ils font leur publicité dans les médias en soulignant leur capacité d’obtenir des sommes importantes. Les plaignants n’ont rien à débourser. Les cabinets portent le risque, et en cas de succès ils se paient royalement sur les sommes reçues.
En UE : cerner les usages de glyphosate pour l’étouffer ou éviter une décision d’interdiction ?
L’opinion publique européenne est largement hostile au glyphosate, après tant de campagnes orchestrées contre ce produit. Mais la même opinion n’est pas consciente du fait qu’il y a en UE 300 à 400 produits qui contiennent du glyphosate. S’il n’y a pas d’interdiction totale, les restrictions d’utilisation se multiplient, surtout en Europe. Mais il est juste de dire que c’est le cas aussi aux USA et au Canada. Les villes de Los Angeles et de Vancouver par exemple se déclarent libres de glyphosate, ce qui touche d’ailleurs peu les agriculteurs. Le Brésil déclare le glyphosate non cancérigène, pour éviter la fin prochaine des autorisations, et après des années durant lesquelles la réévaluation des risques a trainé.
Les interdictions d’utilisations les plus nombreuses en UE concernent les jardins familiaux et les espaces verts publics. Les agriculteurs danois, italiens et tchèques doivent renoncer à cet accélérateur de maturation des céréales. L’Allemagne a prévu une sortie du glyphosate dans le programme de gouvernement de la grande coalition au pouvoir. Elle vient d’annoncer qu’il n’y aura pas d’interdiction totale. En France on poursuit maintenant une stratégie de diminution des usages vers une réduction de 85 % en 2021.
En Belgique, l’utilisation est interdite dans les jardins privés. En Italie la maturation accélérée est interdite ainsi que les utilisations dans les espaces publics. Les Pays-Bas interdisent toute utilisation dite non commerciale ! Le Portugal n’en veut plus sur les espaces verts publics. La Suède interdit les usages dits privés. La Tchéquie qui interdit l’accélération de la maturation, restreint en outre les usages en terre labourables.
Mais des décisions d’entreprises interviennent également. Une poignée de laiteries demandent à leurs livreurs de renoncer à cet herbicide. De chaine de distribution commencent à prêcher la minimisation des utilisations.
PS Les cabinets américains, qui propèrent dans ces procès à plusieurs centaines de millions de dollars, font leurs choux gras des restrictions et hésitations européennes. C’est le cas par exemple des cabinets Baum-Hedlund-Aristéi et Goldmann à Los Angeles.