Julia Klöckner, la ministre allemande (ici avec Julien Denormandie) ne se fait guère d’illusion : la réforme de la PAC risque d’être beaucoup plus agitée que ne le laisse penser le récent accord au Sommet sur le budget.
L’accord de Bruxelles des chefs d’Etat et de gouvernement est financièrement un bon accord pour le budget agricole et pour l’agriculture, en dépit des précautions oratoires prises pour ne pas le reconnaitre aussi clairement. Mais il ne règle pas, au contraire même, la question clé pour la future politique agricole commune, à savoir son architecture verte.
Il faut d’abord que cet accord au sommet passe au moulinet du Parlement européen, qui aimerait bien faire valoir sa prééminence démocratique par rapport aux autres institutions européennes. Il a déjà annoncé son insatisfaction devant le sort réservé dans cet accord aux crédits de recherche, de santé, de protection du climat et de l’environnement. Il est peu probable que des attaques sur le budget retenu pour l’agriculture trouvent une majorité au Parlement européen, mais il est certain qu’il y aura un soutien renforcé au conditionnement des financements agricoles.
Mais revenons à l’accord au sommet. Notons qu’il ne prévoit pas le rattrapage de l’inflation pour la durée des 7 ans. Le maintien de l’ancienne clé de répartition au sein du second pilier PAC assure à l’Allemagne et à la France de bonnes dotations. Mais les décisions du Sommet, pro-aides directes, bloquent tous les changements de cap en politique agricole. Elles vont renforcer les poussées vers l’augmentation du conditionnement des aides - des aides directes en particulier.
Cet accord ouvre largement la voie des possibilités de transferts entre piliers, avec 25% du 1er pilier au second, et même de 40 % pour les mesures agri-environnementales. Le plafonnement obligatoire des aides directes disparait. Mais les chefs d’Etat et de gouvernement recommandent des réformes de la PAC pour aller vers plus d’incitations par les crédits à l’agriculture, pour plus de protection du climat, de l’environnement et des animaux – et ce ne sera pas une simple clause de style pour les discussions à venir.
La principale question à résoudre sera désormais : comment intégrer le Green Deal dans la réforme de la PAC, c’est-à-dire pour l’agriculture : la stratégie Farm to Fork et les règles biodiversité. Pour la PAC cela signifie aussi : faut-il intégrer ou non aux aides directes l’obligation de respecter les éco-schèmes, et lesquels ?
Nombre de ministres de l’agriculture avaient déjà fait remarquer que ces recommandations étaient imprécises, sans base juridique. La PAC leur offre cette base.
Même remarque pour les 10 % de surface dite non productives qui ressemblent fort à un retour de la jachère passée.
L’obligation d’appliquer des schèmes est également censée protéger la concurrence loyale en UE. On retrouvera autour de cette question le front des Etats pour et des Etats contre, sous une pression plus forte de la « planète verte », dont le poil a été un peu hérissé par l’accord budgétaire agricole pro-aides directes pour sept ans.
La Commission européenne a proposé un catalogue de schèmes au choix des Etats, en leur laissant l’exécution pratique. Julia Klöckner, qui préside pour six mois le COMAGRI, devra choisir entre défendre l’intégration obligatoire du Green Deal dans la PAC, et son option personnelle qui est connue pour favoriser des décisions volontaires de la part des exploitants agricoles, et pour des programmes environnementaux spécifique à la fois en applications et en financements. AM
[Ndlr : On n’est pas forcé de partager les commentaires si chaleureux qui fleurissent en ce moment à propos de la Chancelière allemande et de sa supposée conversion aux thèses françaises d’une Europe plus souveraine et solidaire. Nous pensons, nous qui connaissons un peu les opinions et les jugements de la classe dirigeante allemande, que Mme Merkel vient une nouvelle fois, à Bruxelles, de révéler ce qu’elle est depuis toujours : une valeureuse représentante de l’industrie allemande. Ce n’est pas elle qui a changé politiquement de vue sur l’UE. C’est l’industrie allemande, qui ne voit plus de grand avenir ni du côté chinois ni du côté des USA et qui souhaite désormais ménager son marché européen. Celui-ci a le mérite d’exister, d’être facilement accessible et de représenter un énorme débouché potentiel dans une Europe qui serait redynamisée. Evidemment ces considérations sont moins romantiques, mais sur les bords du Rhin, du Main et de la Spree, on laisse le romantisme aux poètes, excellents d’ailleurs : « Ich weiss nicht was soll es bedeuten, dass ich so traurig bin … ». AM]