Bernard Vallat, qui fut directeur de l’Office International des Epizooties de 2000 à 2015, vient d’être réélu (fin juin) président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT). Il a donné au bimestriel Paysans & Société, numéro juillet-août, et à notre éminent confrère (…et bien aimé gérant de la Socopag) Michel Bourdoncle un long entretien sur les problèmes posés par la pandémie de Covid-19 et plus généralement sur le concept de santé globale dont il est l’un des inspirateurs.
Nous reproduisons ci-dessous cette interview, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de Paysans et Société.
Paysans & Société: Est-ce que les épizooties nous apprennent quelque chose sur les pandémies humaines ?
Bernard Vallat : Les méthodes de prévention et de contrôle des épizooties animales sont applicables aux pandémies humaines. Les stratégies de vaccination, d’isolement des malades et des contacts et de désinfection sont similaires. Ce qui change, dans certaines situations et en l’absence de vaccin efficace, c’est le recours à l’euthanasie des animaux malades et de ceux qui ont été en contact avec eux. Chez l’homme, la variole a pu être éradiquée à partir d’un vaccin issu du virus de la vaccine, une maladie infectieuse bénigne qui frappe les bovins. À ce jour, la variole est la seule pandémie humaine à avoir été complètement exterminée. Cela démontre que l’expérimentation chez l’animal est essentielle pour vaincre les pandémies humaines.
Paysans & Société : On a entendu beaucoup de choses sur la covid-19. Est-ce que le changement climatique pourrait avoir une responsabilité ?
Bernard Vallat : Au stade actuel de nos connaissances, ce virus est hébergé par des chauves-souris, porteuses saines de la maladie. Il serait devenu contagieux pour l’homme à l’issue d’un passage chez le pangolin. Les pangolins auraient infecté les premiers humains en Chine qui manipulaient ces animaux sur les marchés locaux où ils étaient commercialisés morts. Ces éléments n’ont rien à voir avec le changement climatique.
Paysans & Société : L’appauvrissement de la biodiversité et la déforestation peuvent-elles être incriminées ?
Bernard Vallat : Certaines théories prétendent que la diminution du nombre d’espèces animales crée des conditions favorables à une diffusion plus efficace de certains pathogènes. La présence de nombreuses espèces animales aurait un effet barrière sur le développement de certains pathogènes. Il s’agit là de pures spéculations qui ne sont pas scientifiquement démontrées.
En revanche, la déforestation a pu jouer un rôle dans l’apparition de nouvelles maladies dans le passé. C’est le cas du virus nipah qui a décimé le cheptel porcin de la Malaisie au début des années 2000 et a provoqué la mort de 300 éleveurs environ. La déforestation liée au développement de la culture du palmier à huile a obligé certaines espèces de chauve-souris totalement confinées dans la forêt primaire à en sortir et à se rapprocher des villages. Les chauves-souris ont contaminé par leurs excréments des porcs présents sous les arbres où elles s’étaient réfugiées.
Paysans & Société : Les modes de production agricole et l’élevage intensif ont ils leur part de responsabilité comme le laisse entendre la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen ?
Bernard Vallat : Il n’est absolument pas démontré qu’il existe un lien entre les modes de production agricole, les systèmes d’élevage intensifs et l’apparition de la pandémie de la covid-19. En 1918 et 1919, la grippe espagnole a provoqué la mort de 50 millions de personnes, à une époque où l’élevage intensif et la production agricole moderne n’existaient pas. La déclaration de la présidente de la Commission européenne laissant entendre qu’il y aurait une relation de cause à effet entre l’élevage intensif et la covid-19 et de justifier le contenu du Green Deal comme un outil de prévention des catastrophes sanitaires me laisse pantois. Une partie de l’argent que la Commission veut consacrer au Green Deal et à la protection de la biodiversité ferait mieux d’être affectée à la recherche et à la prévention des pandémies et des épizooties telles que la peste porcine africaine grâce à des investissements en biosécurité dans les élevages européens.
Paysans & Société : Cette pandémie était-elle prévisible ?
Bernard Vallat : On sait que les deux tiers des 410 maladies humaines répertoriées dans le monde sont d’origine animale. On sait aussi qu’il apparaît chaque année six à dix nouvelles maladies dites émergentes. Et 80 % d’entre elles sont d’origine animale. Certaines de ces maladies animales émergentes peuvent frapper l’espèce humaine mais ne sont généralement pas contagieuses d’homme à homme. C’est le cas par exemple de l’influenza aviaire H5N1 très dangereuse pour les personnes contaminées au contact des volailles. Mais les personnes infectées n’ont pas transmis le H5N1 à d’autres personnes. En revanche, la covid-19 se transmet très efficacement d’homme à homme. Cette capacité étonnante de la covid-19 est la cause de la pandémie mondiale actuelle. Cela devrait nous faire réfléchir au concept de communautés de pathogènes entre l’homme et l’animal et mobiliser la recherche en ce sens.
Paysans & Société: Des foyers de covid-19 sont apparus dans les abattoirs notamment à l’étranger et même en France. Le milieu des abattoirs est-il plus favorable au développement du virus ?
Bernard Vallat : Je ne pense pas que le milieu des abattoirs soit plus favorable qu’un autre milieu au développement du virus, d’autant plus qu’il pèse sur tous les personnels des contraintes sanitaires très strictes visant à protéger les produits alimentaires des contaminations avec ou sans présence de la covid-19
Il faut en revanche s’interroger sur les conditions de vie de nombreuses personnes qui travaillent dans les abattoirs et cela dans n’importe quel pays du monde. Il s’agit souvent de populations déplacées, souvent des immigrés, qui viennent de loin, qui vivent en groupe et qui cohabitent dans des logements surpeuplés et chez lesquelles il est difficile d’appliquer des règles de prévention.
Bernard Vallat : Les animaux sauvages identifiés à ce jour dans l’apparition de la covid-19 sont la chauve-souris et le pangolin. Il n’a pas été démontré que des animaux domestiques hébergeaient le virus, à l’exception de cas rarissimes détectés chez le chat. De là à interdire la commercialisation du gibier, il y aurait un pas à franchir et je ne pense pas qu’on puisse le recommander. Le gibier permet de nourrir des centaines de millions de personnes dans le monde. En France, environ un million de sangliers et 500 000 chevreuils sont abattus chaque année par les chasseurs et consommés sans danger. En revanche, les animaux suspectés d’héberger le virus et de le transmettre à l’espèce humaine comme la chauve-souris et le pangolin doivent être interdits à la commercialisation.
Paysans & Société : Que faut-il faire pour se protéger du virus ? Les recherches sont-elles suffisantes et dans quel sens doivent-elles être lancées ?
Bernard Vallat : Les mesures barrières et le confinement ont montré leur efficacité. C’est un point positif. Mais nous n’aurons un retour à une vie tout à fait normale que le jour où sera mis au point et produit un vaccin efficace. Cela prendra du temps et exigera la mobilisation d’énormes investissements. J’observe que la compétition actuelle favorise une vraie émulation entre les laboratoires, ce qui nous permettra d’arriver à un résultat dans moins d’un an. Du moins je l’espère. Pourquoi si longtemps ? Un certain nombre de conditions sont en effet requises pour y parvenir. D’abord le vaccin ne doit pas être dangereux et provoquer des réactions non désirées, voire de nouvelles maladies. Il faut qu’il soit efficace en ce sens qu’il doit protéger au moins 80 % des personnes vaccinées. Il faut également qu’il soit stable de façon qu’il puisse se conserver et qu’il soit susceptible d’être produit en grande quantité. Enfin, son prix doit être abordable pour qu’il soit accessible au plus grand nombre, notamment dans les pays pauvres. Tout ceci entraine l’obligation de procéder à de très lourdes et longues expérimentations.
Paysans & Société : Redoutez-vous l’arrivée d’une nouvelle vague de la covid-19 ?
Bernard Vallat : Un virus sera toujours à redouter tant que nous n’aurons pas de vaccin efficace. L’application des mesures barrières peut cependant limiter les risques. Compte tenu des leçons acquises pendant la crise, un confinement général tel qu’il a été appliqué pourrait être sûrement évité.
Paysans & Société : Quel jugement portez-vous sur la gestion de la crise par les Pouvoirs publics ?
Bernard Vallat : Face aux incertitudes scientifiques majeures devant lesquelles ils se sont trouvés, il n’est pas surprenant d’avoir observé un certain nombre de tâtonnements. Dans le passé, nous avons été confrontés au même type de difficultés comme lors de l’épisode de la vache folle. Pour ce qui me concerne, je ne porte pas de jugement tant le dossier est complexe. Finalement, la France n’a pas été plus mauvaise que les autres pays en matière de gestion de la crise, ni meilleure d’ailleurs. Bref, on se retrouve dans la moyenne et les choses auraient pu être bien pires.
Paysans & Société : L’Europe a-t-elle été à la hauteur en termes de réponse à la crise ?
Bernard Vallat : Le domaine de la santé relève des États et l’Europe n’a pratiquement aucun pouvoir en la matière, notamment dans le domaine réglementaire. On ne peut que le déplorer. Et s’il y a une réflexion à mener, c’est celle de mettre en place une Europe de la santé, à commencer par la mobilisation de la recherche. S’il y avait eu une Europe de la santé, on aurait eu aussi des règles communes en matière de circulation de personnes par exemple alors que chaque État a fait ce qu’il a voulu. Dans ce domaine, il y a beaucoup à faire pour adopter des règlementations un tant soit peu harmonisées à l’échelle européenne.
Paysans & Société : Quels enseignements peut-on tirer de cette crise en termes de sécurité alimentaire, de délocalisation de certaines activités ?
Bernard Vallat : La mondialisation telle qu’elle est gérée par l’Organisation mondiale du commerce a abouti à une spécialisation des pays en fonction de leurs avantages comparatifs pour la production agricole, qu’ils soient climatiques ou sociaux… Certains pays ont renoncé à produire une partie de leur alimentation parce qu’ils étaient moins compétitifs. C’est une grave erreur que de renoncer à sa capacité à nourrir sa population. L’alimentation n’est pas un bien marchand comme un autre. Elle relève d’un bien public auquel chaque État devrait réfléchir pour garantir sa souveraineté alimentaire.
Paysans & Société : En appelez-vous à « un monde d’après » différent d’ « un monde d’avant » et dans quel sens ?
Bernard Vallat : Outre l’alimentation qui ne doit pas être banalisée et ne pas être soumise aux mêmes règles que les autres produits dans le commerce international, je déplore l’existence d’une médecine humaine à œillères face aux risques sanitaires. La communauté scientifique ne s’occupe généralement que de santé humaine et ignore ce qui se passe dans le règne animal qui pourrait être une source d’expériences et de leçons à tirer pour prévenir les catastrophes sanitaires.
C’est pourquoi, je plaide pour la promotion du concept « une seule santé » pour coordonner les actions des scientifiques travaillant encore séparément sur l’homme, l’animal et l’environnement. C’est une idée que j’avais développée quand j’étais directeur de l’Organisation mondiale de la santé animale, l’OIE.
Aujourd’hui se présente l’occasion de la renforcer tant la santé de l’homme et celle l’animal sont imbriquées. J’en veux pour preuve le cas du virus Ebola. Ce virus qui était hébergé par des chauvesouris a transité par des grands singes. Ceux-ci étaient ensuite chassés puis commercialisés sur les marchés en Afrique. C’est ainsi que ce redoutable virus a contaminé les hommes. À l’époque, j’ai obtenu de l’Union européenne un financement pour établir une cartographie de la présence du virus Ébola chez la chauve-souris dans les pays à risque en Afrique.
Je crois que ce type de recherche qui peut nous préserver d’autres pandémies et non les procès d’intention à l’encontre des animaux domestiques et de leur élevage. Pour finir, méfions-nous des faux savants qui véhiculent des contre-vérités pour vendre leur idéologie et rester à la mode.
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