Le Dr. Oleksandr Perekhozhuk, du Leibniz-Institut (IAMO), le dit sans ambages : dans le conflit actuel, la Russie mène aussi une guerre pour dominer le marché mondial des céréales.
Ce spécialiste du développement agricole, scientifique reconnu au sein d’un Institut de forte réputation, rappelle que la Russie voulait déjà créer, il y a 15 ans, une OPEP céréalière pour "coordonner" ( en fait pour contrôler) les exportations céréalières de la Russie, de l’Ukraine et du Kazakhstan.
Le Black Sea Grain Pool a échoué en 2007, du fait que l’Ukraine s’y est opposée avec fermeté.
Depuis cette date, la Russie est devenue l’un des grands exportateurs mondiaux de céréales, car elle dispose d’immenses surfaces de terre arables. Elle est non seulement en concurrence avec les USA, l’UE, le Canada et l’Australie, mais aussi avec ses voisins directs d’Ukraine et du Kazakhstan. Ce dernier pays n’a pas d’accès à la mer et doit donc passer par les chemins de fer russes pour accéder aux ports de Mer Noire. Ses exportations sont ainsi sous contrôle russe.
L’Ukraine, avec la plus grande surface de terres noires, est un concurrent direct de la Russie, et elle dispose (en principe et sauf situation de guerre) de ses ports de mer comme Odessa, Marioupol, Berdyansk. Ce voisin a toujours été considéré comme dangereux par les oligarques russes.
En perdant le contrôle des régions du sud et des rives de la Mer Noire, l’Ukraine perdrait aussi l’accès au marché mondial, et la Russie pourrait contrôler toutes ses exportations de blé.
Ce serait une arme aux mains des Russes, plus dangereuse encore que le pétrole et les armes conventionnelles. Car si, pour l’énergie, on peut trouver d’autres origines, c’est par contre beaucoup plus difficile pour le blé et en particulier pour les régions les plus pauvres du monde. Russie, Ukraine et Kazakhstan fournissent surtout les régions les plus peuplées du monde en Afrique, au Proche-Orient et en Asie.
Actuellement, les Russes fournissent les pays qui soutiennent sa guerre ou qui se taisent à ce sujet. L’utilisation de l’arme alimentaire ferait augmenter les prix et la Russie contrôlerait la loyauté de ses pays clients. Elle pourrait provoquer des famines dans certaines régions du monde et provoquer de fortes migrations humaines.
PS L’UE négocie avec la Pologne une aide spéciale qui permettrait à Varsovie de livrer des carburants aux agriculteurs ukrainiens pour sauver la prochaine récolte, et dès maintenant pour les indispensables traitements de printemps, semis et épandages d’engrais.
Mais tout cela sera-t-il possible si l’artillerie russe tire sur tout ce qui bouge ?
Janusz Wojciechowski, le Commissaire européen à l’agriculture, soupçonne d’ailleurs la Russie de tout faire pour créer la rareté alimentaire en bombardant des silos et en attaquant des fermes avicoles. Avec sans doute le dessin de déséquilibrer les approvisionnements des pays de la zone occidentale qui doivent déjà accueillir près de 3 millions de réfugiés, et sans doute bien plus à terme. AM